Un drame se joue
Ainsi en cette journée terrible du 28 Mai 2007, au cours de l'après-midi quelques plaisanciers de l'APPC sont de sortie en mer.
Vers 14 heures, certains d'entre eux, dont Jean et René, sont partis relever leurs casiers, Bernard et Jean-Charles leur trémail, et Marcel taquiner le maquereau. Tout le monde est affairé, chacun vaque à ses occupations.
Vers 15 heures 30, Jean qui se trouve à bord de son esquif, vient de mouiller son dernier casier et après une après-midi bien remplie s'apprête à rejoindre le Caban.
Je pense que vous l'aurez reconnu il s'agit de Jean LEROY, notre dévoué président-adjoint.
A peine le casier mouillé, le bateau s'éloigne au gré de la marée par ce fort coefficient de 61. C'est sur cette vision que Jean se dit "Demain c'est certain , il y aura du petit bleu ou du gratin".
Mais Jean ne se doute pas qu'à l'instant présent un péril imminent le guette, sa vie est en jeu, un drame dont il va être la victime va se dérouler comme dans un mauvais rêve frisant le cauchemar.
En effet, reprenant la barre de son navire au moment de relancer les machines, rien ne se passe. Le moteur refuse. Il renâcle à lancer les chevaux. Rien n'y fait, même pas le petit coup d'accélérateur, la manoeuvre du starter non plus. Un coup d'oeil au réservoir d'essence confirme que tout est ok de ce côté là. Jean relève la visière de sa casquette et regarde l'horizon, d'un revers de main il s'éponge le front car tirer sur la ficelle est une dure besogne en cette mer qui vous malmène. Seul dans l'immensité de l'océan comme Tintin dans le désert, en vieux loup de mer, Jean sait qu'il ne faut en rien céder à la panique. Rien ne serait pire que de perdre les pédales, que dis-je les rames.
Non, Jean n'est pas de ceux qui se lancent à l'aventure sans avoir prévu tous les aléas. Non, dans quelques minutes tout sera rentré dans l'ordre. Aucun problème.
Mais c'est sans compter sur la marée qui déporte notre infortuné marin. Il note qu'il se trouve dans le Nord-Nord/est de la Marti au Roc. Cet endroit n'est pas le triangle des Bermudes loin de là, mais chacun sait, que les parages sont redoutables lorsque les éléments se déchaînent. Pour le moment tout va bien mais ne vient'on pas d'essuyer un coup de vent frôlant les 110 Km/h. Des retours de vent, des vagues de fond ne sont pas impossibles en cette saison, bref, Jean n'est pas sorti de l'auberge, ou plutôt du chaudron.
Un dernier coup sur la ficelle et un dernier "nom de dieu qu'est-ce qu'il a dans le c.. ce con là ?, il faut se rendre à l'évidence.. Jean est naufragé, à la merci des éléments.
Un bilan s'impose : Le moteur refuse de partir. Il y a de l'essence il faut regarder l'allumage. Un coup de clé à bougie et ce sera un jeu d'enfant de souffler au culot de la bougie et de la sécher après l'avoir nettoyée. Si ce n'est pas le bon remède, il faudra regarder au gicleur. Après, cela m'étonnerait quand même que je ne puisse pas redémarrer.
En sifflotant l'air bien connu "Il était une fois un petit navire", Jean se dirige les yeux fermés vers sa trousse à outils rangée dans la boite "Tupperware" elle-même calée au fond du cockpit côté gauche. Muni de la précieuse sacoche, après avoir ôté le capot de la machine, notre ami ouvre le nécessaire à outils. Arrivé à "qui .... qui serait mangé, qui qui serait mangé, ohé ohé ....", il se rend compte avec stupeur que la clé à démonter les bougies est absente. C'est pas possible, elle y était la dernière fois. Elle ne doit pas être loin. Elle est peut-être dans l'autre boite. Regardons.
Jean regarde. Jean retourne le bateau ou disons plutôt l'intérieur du bateau.? Rien n'y fait . Il faut se rendre à l'évidence. La réalité est parfois dure à supporter : Pas de clé, donc pas de dépannage.
Il faut se résigner, le courant est dans son ascendant douzième le plus fort. Le vent fraîchit, dans cinq heures il fera nuit. L'avenir est sombre.
Jean se voit sur l'immensité de l'océan, la peau brûlée par le soleil, les lèvres en feu, les mains gercées par le sel, l'estomac tordu de douleur par la faim et la soif. Il s'imagine attraper les poissons volants (exocets) sous les tropiques car la dernière mitraillette a été perdue depuis longtemps, et voit déjà roder des ailerons autour de son navire. Il sait que les requins ne feront qu'une bouchée de sa carcasse amaigrie par des jours et des jours de disette.
Puis délire ou imagination il se voit dans le hunier de la Santa Maria lorsque le guetteur de Christophe Colomb aperçoit la Terre.
Mais, il ne faut jamais désespérer.
Jean l'ignore mais son futur sauveteur tel le messie le voit. Bernard a bien remarqué le manège inhabituel de l'ami Jean. C'est qu'il a l'oeil partout le Bernard. Il l'a vu poser son casier, il l'a vu dériver, il l'a vu bricoler autour de son moteur. Bref, Bernard a vu que Jean lève les bras et demande ainsi de l'aide.
Bernard ne se pose pas de question. Vite, il faut faire vite. Jean est en danger. Il faut l'aider.
Vite rejetons le trémail tel quel. La vie d'un ami est en jeu.
Bernard, se dirige vers son "Johnson" .
Il l'aime bien son vieux Johnson. C'est vrai il est pas tout jeune mais ça tourne encore. Il y a encore des étincelles à la bougie (tout le monde peut pas en dire autant). De temps en temps, vous l'aurez sans doute aperçu, Bernard est occupé à passer une main câline sur le capot comme un bon maquignon caressant au marché la croupe de la "Fleurette", on dirait même qu'il lui sourit. Je me demande si quelqu'un n'a pas dit qu'il y faisait la bise de temps en temps. Bref, Bernard adore son moteur. Ce moteur n'a pas le trim, il n'a pas de démarreur électrique, il n'a pas d'allumage électronique, il n'a pas de taquet de marche arrière, de temps en temps les dents de la crémaillère se déboîtent (c'est la preuve qu'il y en a encore) mais son johnson il y tient, surtout qu'il ne risque pas de tenter les voleurs. Bon c'est vrai il est un peu gourmand mais quand on aime on ne compte pas c'est bien connu. Lui ôter son "Johnson", ce serait lui fendre le coeur à notre Bernard. (Tiens j'ai déjà entendu)